Renaud, 63 ans à la télévision : alcoolisme et dépression, comment ne pas dire vos noms

Bonjour

L’angle ? Cette fois c’est David Carzon (directeur adjoint de la rédaction de Libération) qui a trouvé le meilleur : « Comment rendre hommage à Renaud sans Renaud et sans faire croire qu’il est mort ? ». « Renaud, une affection longue durée ». Parler d’un vivant qui se terre ? Hier, 11 mai, France 3 s’y essayait. En début de soirée. Avec un prétexte tout trouvé : 63 ans le jour même. Un gâteau d’anniversaire sans les bougies, sans le gâteau, sans Renaud.

Le pire

On avait titré ce documentaire Renaud, on t’a dans la peau. Un clin d’œil à l’addiction ?  A l’amour des foules pour son idole ? On pouvait, une nouvelle fois, redouter le pire. Et, cette fois, on avait tort. « On ne peut pas douter de la sincérité de la démarche du documentaire, nous avait expliqué Libération. Coauteur du film avec Nicolas Maupied, Didier Varrod est – en plus d’un des meilleurs spécialistes de la chanson française – un proche du chanteur de 63 ans qui a volontairement coupé les ponts avec le monde. Tout au plus, avons-nous de ses nouvelles – alarmantes – à la faveur d’une couverture de VSD comme en juillet. »

En juillet 2014 c’était, souvenons-nous, « Renaud ou l’alcoolisme vendu en photo ». Nous passions d’un alcoolisme entre les lignes à un alcoolique en photo. Affiché en devanture des kiosques. Dans Paris-Match début juillet. Puis  dans VSD (« Renaud la déprime sans fin »). « Ce sont, écrivait Le Point, des photos qu’on ne voudrait plus voir. » On ne les as pas vues, sur France 3, ces photographies de voyeurs, prises devant la Closerie des Lilas, entre l’Observatoire et la Sénat, non loin de la Santé. Une Closerie où Renaud fume et boit (pastis) depuis longtemps et depuis longtemps nettement plus que de raison. Une Closerie « où on est au petits soins pour lui » (VSD).

Impasses

France 3, hier, évita précisément ce que ces photos exprimaient, la souffrance, la bouffissure, la maladie, l’expression d’une possible déchéance, les rechutes récurrentes, les impasses thérapeutiques. Sans parler du déni affiché de nombre de ses amis  Le Point : « Et toujours cette même inquiétude, ce lancinant mal de vivre pointé par la presse: comment va Renaud, l’un de nos plus grands chanteurs, ce compositeur et poète écorché vif, si prompt à se laisser envahir par un spleen plus destructeur que créatif ? ». RTL, station au micro de laquelle l’éternel ami Hugues Aufray dit « souffrir beaucoup de le voir souffrir comme cela ». Tout nous était dit des errances entre L’Isle-sur-la-Sorgue et le boulevard du Montparnasse.

« Ne cherchez pas d’explications. J’ai du mal avec la vie. Point final » (Paris Match, février 2012). « J’en ai marre qu’on dise en permanence que je vais mal, explique le chanteur dans Match. Ceux qui prétendent m’aider en disant le pauvre Renaud, il est malade, il est dépressif, il est alcoolique ne me font aucun bien. C’est tout l’inverse ! » Tous les alcooliques ou presque vous diront approximativement la même chose. Et ceux qui lui fêtaient, hier, son soixante-troisième anniversaire semblaient l’avoir compris.

Failles

Le fan est un monstre comme les autres. Un ami n’est pas un thérapeute. Un admirateur encore moins qui, souvent, se nourrit des failles dévorantes de son idole. L’admirateur, l’ami, peut seulement espérer que l’artiste, que le malade, retrouve un point d’ancrage suffisamment solide pour commencer à se relever. Les exemples ne manquent pas.  Ray Charles  souffrit durablement d’une dépendance à l’héroïne qu’il parvint à briser. Edvard Munch (Le Cri) vit les alcools, la dépression et leurs enfers d’assez près. (Dominique Dussidour, Si c’est l’enfer qu’il voit : dans l’atelier d’Edvard Munch, Paris, Gallimard). Puis il revint parmi ses contemporains. Sans parler de Georges Simenon , le patron.

« Il y a une dizaine d’années, Didier Varrod avait réalisé un très beau documentaire sur Renaud, le Rouge et le Noir, et à l’époque le chanteur y avait participé, rappelle Libération. Mais cette fois, il a fallu parler de lui, sans lui. Alors c’est le ban et l’arrière-ban de la chanson française qui sont venus déclamer son amour pour le Renaud rebelle, le Renaud sensible, le Renaud poète… Une bande qui a déjà commis deux albums hommages dont les succès laissent augurer de nombreuses déclinaisons possibles. »

Rechute

En novembre 2011 (« Renaud, alcoolique public »)  on avait déjà connu une vague d’exposition médiatique de ce chanteur « carburant au pastis ».  Il avait rechuté. Une dépêche de l’AFP :

« Des proches du chanteur français Renaud, dont son frère Thierry Séchan et le chanteur Hugues Aufray, s’inquiètent de son état de santé, entre dépression et alcool, mais interrogé par le journal Le Parisien, il assure qu’il va bien même s’il reconnaît vivre « une période un peu difficile ». « Je vais bien, merci », assure Renaud, interrogé par le quotidien à la terrasse d’une grande brasserie parisienne où il a ses habitudes. Le Parisien souligne que le chanteur parle « en tremblant, sans jamais tourner les yeux vers son interlocuteur (…), le visage creusé par des cernes abyssaux ».

« Je traverse une période un peu difficile avec mon divorce, mais bon, c’est la vie », ajoute-t-il, tout en assurant ne pas avoir repris la boisson: « si avaler deux pastis dans un repas c’est boire du matin au soir… »

Le chanteur, âgé de 59 ans, dit également qu’il n’a pas l’intention de revenir sur scène: « De toutes façons, je n’ai pas de nouvelles chansons, je n’en écris plus, je n’ai pas d’inspiration ». « Il boit comme on peut prendre des antidépresseurs pour aller mieux. Actuellement, pour moi, mon frère cherche, il attend un déclic, soit pour écrire soit pour rencontrer une nouvelle femme », témoigne de son côté Thierry Séchan, évoquant un « suicide à petit feu ».AFP – 16/11/2011 – 09:24:10 »

Dépendance-souffrance

Il y avait aussi eu ce texte, publié sur le site Slate.fr , intitulé  « Laisse béton, Renaud »  L’auteur, Laurent Sagalovitsch  soutenait l’inaudible : laisser le chanteur décider de mettre fin prématurément à ses jours, grâce à l’alcool anisé, si tel était son bon vouloir. Mais qu’est-ce que le bon vouloir, le libre arbitre, d’une personne ayant atteint un haut degré de dépendance-souffrance à l’alcool.

Mai 2015, 63 ans, France 3 et Libération : « Les paroles de cette génération post-Hexagone (Alex Beaupain, Olivia Ruiz, Vincent Delerm, Raphael, Grand Corps Malade, Disiz…) sont souvent touchantes. Qu’on les aime et qu’on les déteste, les chansons de Renaud continuent de marquer, sans forcément inspirer une descendance directe. (…) Au final toutefois, il nous reste une impression de malaise après ces 90 minutes d’hommages : le documentaire n’évite pas l’écueil principal et revêt par moments un aspect nécrologie avant l’heure. Et ça fout un peu les glandes. » Les glandes ?

Mélancolie

« Mais de même qu’une maladie ne commence pas avec son diagnostic, de même le sort d’un homme ne commence pas au moment où il devient visible, et où il se réalise » écrit Stefan Zweig, en tête de « Destruction d’un cœur ».

Renaud, « Mon paradis perdu » (2002) :

« Mon paradis perdu c’est mon enfance / A jamais envolé, si loin déjà / La mélancolie s’acharne, quelle souffrance / J’ai eu dix ans, je n’les ai plus, et je n’en reviens pas / Les souvenirs s’estompent et le temps passe / La vie s’écoule, la vie s’enfuit, et c’est comme ça / Léo a dit « avec le temps, va, tout s’efface » / Sauf la nostalgie qui sera toujours là.(…) »

A demain

Renaud ou l’alcoolisme vendu en photo

Bonjour

Longtemps ce fut un alcoolisme entre les lignes. Désormais c’est un alcoolique en photo. Affiché en devanture des kiosques. Dans Paris-Match début juillet. Aujourd’hui dans VSD. « Ce sont, écrit Le Point, des photos qu’on ne voudrait plus voir. »

Souffrance, possible déchéance

Ce sont aussi des photos que l’on veut voir et donc des photos qui se vendent. Pour autant ce ne sont pas des photographies volées. Chacun peut les prendre. Il suffit pour cela de se rendre à la Closerie des Lilas, entre l’Observatoire et la Sénat. Une Closerie où Renaud fume et boit (pastis) depuis longtemps et depuis longtemps nettement plus que de raison. Une Closerie « où on est au petits soins pour lui » (VSD).

Ce sont des photos qui parlent. Des photos qui pleurent. La bouffissure. Elles disent la maladie, la souffrance et la possible déchéance. Les mots tournent autour du mal : la dépression, l’alcoolisme. Signes évidents, diagnostic probable, rechutes récurrentes, situation d’impasses thérapeutiques. Et puis le déni, à commencer par celui des amis : « ne pas se fier à son apparence ». « Il va bien, confirme Stéphane Loisy, avocat et ami du chanteur, dans VSD.  Je suis sincèrement scandalisé qu’il soit présenté comme un ‘’clochard’’ ! ». Un proche, sous le couvert de l’anonymat : « Bon, il boit, c’est un alcoolique, personne ne peut dire le contraire. Mais attention, ne vous fiez pas à son aspect extérieur. Dans sa tête, tout fonctionne parfaitement bien. »

Pluies de royalties

 Et l’incompréhension de celui qui ne veut pas comprendre : « Depuis 1977 et le tube ‘’laisse béton’’ les royalties n’ont jamais cessé de pleuvoir ». Comme si l’argent protégeait des plaies de l’âme.

Et encore les guillemets utilisés comme un clin d’oeil entre adultes. Ainsi VSD : « Renaud a ‘’supervisé’’ la sortie de ce CD sur lequel Jean-Louis Aubert, Bénabar, Grand Corps Malade  … reprennent ses plus grands succès (Universal). » « Déjà plus de 100 000 albums vendus, l’un des meilleurs démarrages de cette année. De quoi redonner un peu de baume au cœur au chanteur abattu. » Qui dira ce qu’est le baume au cœur d’un malade de l’alcool ?

Perdu par une femme

Et toujours ces mises en abyme médiatiques. Le Point : « Et toujours cette même inquiétude, ce lancinant mal de vivre pointé par la presse: comment va Renaud, l’un de nos plus grands chanteurs, ce compositeur et poète écorché vif, si prompt à se laisser envahir par un spleen plus destructeur que créatif ? ». RTL, station au micro de laquelle l’éternel ami Hugues Aufray dit « souffrir beaucoup de le voir souffrir comme cela ».

Sans oublier l’exposé des antécédents, ces plongées dans ses néants d’où il fut sauvé par une femme. Avant que Romane choisisse de « ne plus tenir la barre ». Tout nous est dit de ses errances entre L’Isle-sur-la-Sorgue et le boulevard du Montparnasse.

Voracité médiatique

Ne pas omettre de citer le malade qui dit « sa vérité ». « Ne cherchez pas d’explications. J’ai du mal avec la vie. Point final » (Paris Match, février 2012). « J’en ai marre qu’on dise en permanence que je vais mal, explique le chanteur dans Match. Ceux qui prétendent m’aider en disant le pauvre Renaud, il est malade, il est dépressif, il est alcoolique ne me font aucun bien. C’est tout l’inverse ! » Mais quand faut-il prendre le malade alcoolique au pied de la lettre ?  Et comment soustraire les artistes alcooliques à la voracité journalistique et médiatique ? Le fan est un monstre comme les autres.

Ray Charles (douze enfants de neuf femmes) souffrit durablement d’une dépendance à l’héroïne dont on dit qu’il parvint à guérir sans produit de substitution. Edvard Munch (Le Cri) vit les alcools, la dépression et leurs enfers d’assez près. (Dominique Dussidour, Si c’est l’enfer qu’il voit : dans l’atelier d’Edvard Munch, Paris, Gallimard). Puis il revint parmi nous et continua à créer.

Travailler au vin

Et Georges Simenon (1) : « C’est vers cette époque, et au retour, à Morsang, toujours à bord de l’Ostrogoth, qu’écrivant les premiers Maigret j’ai pris l’habitude de travailler au vin. Eh oui ! Dès six heures du matin. Et comme j’écrivais matin et après-midi, c’est-à-dire trois chapitres par jour … A Morsang, il y avait une barrique dans une fourche d’arbre à côté du bateau. Le pli était pris. J’ai continué jusqu’en 1945. Du vin, blanc à Concarneau (cidre l’après-midi), rouge à Paris ou ailleurs, grogs lorsque j’avais un rhume. Encore une fois j’étais rarement ivre mais j’avais besoin, dès le matin, surtout pour écrire, d’un coup de fouet. J’étais persuadé de bonne foi qu’il était impossible d’écrire autrement. Et en dehors du travail, je prenais n’importe quoi, apéritif, cognac, calvados, marc, champagne …

Je voyageais beaucoup et, en voyage,  je buvais davantage (…) En 1945 je suis parti pour les Etats-Unis, et j’avoue que je me suis mis à boire alors à l’américaine, non plus du vin aux repas, mais avant, Manhattan après Manhattan, puis Martini Dry après Dry Martini (avec oignon, ce qu’on appelle un Gibson). J’ai commencé à connaître les réveils pénibles, la gueule de bois, les crises d’aérophagies pendant lesquelles je pensais chaque fois mourir d’angine de poitrine. (…) Le premier roman écrit au thé est Trois chambres à Manhattan 1946. Ecrit  dans un log cabin sur le lac Masson dans les Laurentides, en plein hiver. J’étais sûr de ne pas venir à bout de ce livre (…) Si l’expérience avait raté je ne l’aurais sans doute pas renouvelée et je serais mort à l’heure qu’il est. »

Aucune honte à être un ivrogne

Simenon raconte ensuite (Quand j’étais vieux, 10 janvier 1961) comment il a, avec sa femme d’alors, décidé de se « mettre sur le wagon » (abstinence complète).  Pas par vertu. Par instinct de survie. Puis il est véritablement entré en abstinence en 1949. « Cela ne m’empêche pas de me considérer comme un alcoolique » écrit-il onze ans plus tard. En 1963 il déclare à Roger Stéphane : « Je ne vois aucune honte à être ivrogne, pas plus qu’à avoir une maladie de cœur ou un cor au pied. »

(1) Citations tirée de « Autodictionnaire Simenon » de Pierre Assouline (Editions Omnibus) 2009